• Art, genres, pornographie et stéréotypes sexuels

    Et misère, solitude, mal-être de la condition humaine

     

    Par Aurélie Dubois --- Michael Burges, France Cadet Sexe et convenance II - 22 avril-29 mai 2010 - Paris 3e. Galerie Pascal Vanhoecke Cet article est cru. Sautez si vous avez les yeux sensibles. Pas très théorique et plutôt facile à lire.

     

    Dans mon assez longue vie de muséologue, si je n'avais pas eu l'esprit ouvert, je serais morte deux jours après mon engagement. En fait, dès le premier jour, une collègue qui m'amenait au restaurant histoire de faire connaissance, se montra fort surprise du fait que j'avais un conjoint et que j'étais exclusive plutôt que d'avoir plusieurs mecs dans mon lit bien sûr pour mon épanouissement (...). Suivirent tous les détails de ma vie et mon végétarisme, entre autre. Bref... Mais c'est une autre histoire. Ou pas.

     

    Avant d'aller plus avant, je dis tout de suite que quelque chose de sympathique se dégage pour moi de l'image montrée sur l'annonce de l'article, dans Facebook, ici. Qui me fait penser à une exposition de Sorel Cohen, dans laquelle elle était photographiée dans des mises en scène rappelant des tableaux classiques. La mise en scène de l'exposition, avec laquelle j'avais beaucoup travaillé en compagnie de visiteurs, était extrêmement provocante, ce que je n'avais pas manqué de faire remarquer à l'artiste. C'est que, contrairement à l'éclairage institutionnalisé de l'ère muséale moderne, blanche, propre, dénudée, se voulant neutre, (...), nous étions plongés dans la pénombre, dans le monde de la rêverie, proche de l'in ou du moins conscient. Le regardeur, la regardeuse, devait s'approcher timidement afin de vérifier le sexe de la personne et ce faisant, était confronté/e à sa propre fragilité vis-à-vis la construction de son propre genre (construction sociale associée au sexe biologique afin de l'encadrer socialement, économiquement, idéologiquement), confondu par ignorance avec son sexe biologique et donc sa vulnérabilité face à sa propre « identité sexuelle ». Ceci ne pouvait se faire que le plus discrètement possible. Montrer ses doutes. Exposer ses failles...

     

    Des corps nus aux images immenses d'appareils génitaux et de corps féminins soi-disant pour promouvoir le  post « féminisme » et la prise de contrôle par la femme de sa sexualité, en passant par la connaissance de performances les plus diverses, je me demande si quelque chose a pu m'échapper, incluant l'automutilation comme marquage territorial du corps (et de l'âme). Passons le type qui prenait son sang afin d'en asperger les œuvres des autres au musée où je travaillais à celle d'une danseuse performeuse qui allait baiser avec un type qu'elle ne choisissait pas qui s'était mérité je ne sais plus de quelle manière ses faveurs. Corps de danseuse, plutôt jolie. Faveurs à condition que l'heureux élu partage ce genre de valeurs.

     

    Celle des artistes connus internationalement, Abramovic et Ulay, qui se tenant nus, face à face dans l'encadrement d'une porte qu'il fallait traverser pour aller visiter l'exposition, forçaient les visiteu-r-se-s à les frôler, à entrer dans leur intimité. Je ne dis pas violer, ce fameux fantasme du viole-moi qui nourrit chez les machistes l'opinion que non veut dire oui. Parce que dans ce cas, c'était oui, ou vous n'entrez pas.

     

    Recrudescence du talon haut, de la peinture pour fifilles (on vend le maquillage en camaïeu ou suggérant la palette de l'artiste peintre. Quand le résultat, toujours insatisfaisant n'est pas encore à la hauteur, il y aura toujours Photoshop. Jusqu'à ce que l'âge force à faire des choix dans la vie 3 D qui s'avèrent dangereux, souvent désastreux. La femme, cette commodité (lire Baudrillard). Et bizarrement, on parle de renouvèlement des codes sexuels ou liés à la sexualité, de flirt avec les codes de la pornographie. Je n'entrerai pas ici dans les méfaits de la banalisation de ce monde, lié à la prostitution et à l'exploitation éhonté de la femme (et à longue vue, de l'homme). Je vous renvoie plutôt ici.

     

    Ainsi irait la vie, en boucle, la femme étant une commodité, point final, elle se vend cher et contrôle l'érection de son, ses mec/s, du voyeur masculin, entre dans SES fantasmes construits et considère l'homme à sa merci quand le sexe de ce dernier est bien dur, quitte à ce qu'il se masturbe, auquel cas, elle devient la voyeuse, croit-elle.

     

    Avale-t-elle est devenue la question. Car elle boira avec extase le précieux liquide au gout de faveur masculine alors que le type prendra encore au moins 30 minutes pour redevenir en forme et lui offrir quelque plaisir, si celle-ci désire autre chose qu'un doigt ou un jouet, ou tout autre chose qui donnerait partiellement une jouissance et pour lesquels elle n'aurait de toute manière aucun besoin d'un homme.

     

    Ainsi la société patriarcale déporte-t-elle l'antique angoisse masculine de ne pouvoir donner la vie (jeter Freud, pour cette ineptie et lire Bettelheim et les suites justement dans le post-féminisme, théorisé par des femmes ET des hommes) et les divers moyens qu'il doit prendre pour contrôler son incubatrice, de l'enfermement physique à l'excision, en passant par tous les formats de burqah et, du pareil au même, tous les formats de déshabillage, d'exhibition, de glorification de ce que sont devenus ses pauvres fantasmes. Je me dis qu'un homme doit vraiment manquer d'estime de lui-même pour avoir à concevoir sa descendance avec un corps emprisonné, voué au nom plaisir ou à religieusement jouer la pute de son propriétaire.

     

    Pour avoir lu l'automne dernier Le système Victoria,[1] où le symbole phallique évident de la tour en construction et des délais à respecter, parallèlement à une histoire de sexualité débridée dans laquelle c'est la femme qui n'a plus, en apparence, de limites, je n'arrive toujours pas à décider de mon éthique personnelle et du cheminement idéologique à suivre ici, pour en finir avec ces interminables stéréotypes et non plus avec la présence de la pornographie au sein de la littérature.

     

    Ce que je sais, par contre, c'est que ce livre nous plonge une fois de plus dans les vieux stéréotypes. Femme incontrôlable, devoir de l'homme de la contrôler, peur de la castration omniprésente, difficulté à se construire une identité d'homme. Et pour cause, en ce qui a trait à cette dernière. Car pour peu que l'on rejette cette construction sociale et idéologique des genres, comment justifier son pouvoir, toujours-déjà un abus. Il faudra, pour le héros, passer le reste de sa vie à regretter de ne pas avoir su contrôler cette femme au nom métaphorique. Lui qui avait épousé dans un geste charitable une autre femme.

     

    Faire confiance aux phéromones??? Ou poursuivre cette course folle vers le mur de béton. Cette opposition des sexes qui antagonise, qui faille, tue, et craint le questionnement philosophique et idéologique profond. Partager, être, tout simplement car c'est déjà tellement, tellement complexe.

     

    Je vois dans les attitudes de cette catégorie de femmes autoproclamées post « féministes » de même que dans le rôle qu'elles attribuent ou croient attribuer aux hommes, une immense misère humaine, une implacable solitude.

     

    Non, je n'ai pas envie de regarder un homme ni une femme se masturber. Je comprends la démarche, je la refuse, la rejette, qui nous tire en arrière, dans le désastre humain où l'intimité de l'autre ne se marchande même plus, s'impose, veut, veut pas.

     

    Comme personne, je suis offensée des milliers de fois chaque jour et des hommes à mes côtés, passés à autre chose.

     

    Vérifions ce que je dis. Renversons l'image. Une tête masculine et un corps de femme là où on voit un corps d'homme. Qui ne pensera pas immédiatement que c'est un gai qui rêve de...

     

    Une femme qui se masturbe en voyant un homme s'offrir, provoquer? Rare... Car les femmes n'ont pas, ne doivent pas, avoir, traditionnellement de désir sauf allumée par l'homme. Leur homme. Et c'est censé prendre beaucoup de temps et des milliers d'attentions particulières.

     

    J'ai bien tenté de regarder, dans le contexte artistique ce pauvre type qui se branlait. Triste solitude, mal-être, découragement étaient les sentiments qui m'habitaient. Puis, l'effet de mimétisme automatique et animal m'a posé un problème éthique. Et j'ai fermé.

     

    Il ne faudrait pas me torturer, aussi pudique que je sois, pour que je me déshabille flambant nue sous la menace. Que je sois aux côtés de ces femmes égyptiennes (à 98 % excisées, dit-on) manifestant dans cette tenue pour réclamer leurs droits si je pensais que... J'aurais aimé faire partie de cette manifestation à la Place-des-Arts, vous savez quand ce photographe (retrouver son nom) donnait rendez-vous à tous les volontaires pour qu'ils se couchent au sol, nus, afin de les photographier. Quelque chose, pour moi, d'infiniment touchant et humble dans cela.

     

    Mais un troupeau de femmes se masturbant sans la même pièce, ou d'hommes, cela pour moi, je le répète, est de la grande misère humaine. La perte de son intimité, une partie hautement dévalorisée de nos jours, ce qui (se) reflète bien (dans) le désespoir de notre société consommer-jeter. Comme le montrait Yana Sterback, code barre dans le cou.

     

    Enfin, toute cette terminologie : insexualité, transsexualité, transgenre, et d'autres néologismes à prévoir, ne fait que répéter la même chose, affirmer les mêmes stéréotypes. Si, comme j'en suis convaincue (aussi) les genres sont une construction idéologique visant a reproduire un ordre social déterminé, que l'on ne les reproduit plus, tous ces mots à la mode tombent à l'eau. Et beaucoup de misère, de mal-être avec.

     

    Un ami psychologue avec qui je discutais psychanalyse et stéréotypes me disait : les hommes confondent la bouche (surtout rougie pour simuler l'état animal d'ovulation) avec le vagin. Ce faisant, ils occultent l'outil de castration. Ici, les fillettes, qui s'interpelleront à l'adolescence à l'aide du joli nom « Putain », apprennent rapidement que si elles veulent un amoureux, il faut le sucer. Au diable LEUR plaisir. On parle ici de fillettes. Hypersexualisation, apprentissage des stéréotypes dans l'utérus de la mère, encore si souvent.

     

    En conclusion, j'aimerais choisir où quand et avec qui je partage la nudité, la sexualité, mon intimité, moi, mon âme. Ni cachée, ni exhibée comme une pièce de viande, pas plus, pas moins qu'un homme.

     

     

     

    Et vous?

     

     

    © Zéo Zigzags 30 mars 2012

     

    Critique pertinente

     

    Source de l'image : www.paris-art.com


    [1] Le système Victoria, Éric Rheinardt, ed. Stock, 524 p.  Extraits

     

    « Peau hésiteÀ tu »

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  • Commentaires

    3
    artobazz Profil de artobazz
    Mercredi 4 Avril 2012 à 08:39

    Je copie-colle, avec la permission d'Éric Pessan, le commentaire qu'il m'a fait parvenir et que j'ai énormément apprécié, vu, aussi, mon engagement sur cette question, aux côtés d'hommes qui luttent pour les mêmes valeurs. Encore merci .

     

    Eric Pessan

    • Bonjour,
      je viens de lire votre article, qui est très juste, en effet. Il pose les limites de l'intime et de l'obligatoire surexposition du sexe. Un peu marre - pour ma part - de ces torrents de voyeurisme, de fantasmes et d'exhibitions qui ne sont que de pauvres stéréotypes. L'homme et la femme se doivent d'être performants. Efficaces. Ou alors, l'art jouera de l'inverse, renvoyant l'image d'une sexualité bridée, pauvre, malheureuse.
      D'expo en livre, de films en spectacle, je me dis qu'il manque une chose au sexe, toujours : la joie.

      A l'automne, on m'a commandé un texte érotique. J'étais bien embêté. Pas envie de tomber dans les stéréotypes et envie de me poser ce défit d'écriture. Je pense avoir trouvé le moyen de l'écrire, sans décrire les fantasmes obligatoires. En tous cas, réfléchissant à ce que j'allais bien pouvoir faire, je me suis rendu compte combien ces chemins là, à force d'être balisés, étaient devenus de pauvres autoroutes, dont le péage est souvent hors de prix.

      Belle journée à vous.

    http://www.facebook.com/eric.pessan

    2
    artobazz Profil de artobazz
    Samedi 31 Mars 2012 à 07:19

    La critique pertinente, c'est un lien. Merci pour ton commentaire. Il me fait drôlement plaisir.

     

    Amicalement aussi, Zéo

    1
    Philaments Profil de Philaments
    Samedi 31 Mars 2012 à 05:00

    Pour une fois, j'ai compris ! Et j'ai lu avec d'autant plus d'intérêt que je partage presque intégralement tes avis ici développés.

    (Et non, je ne sais toujours pas proposer de "critique pertinente", raisonnée, objective,  a fortiori constructive !)

    Amicalement,

     

    Poétisane



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